dimanche 19 février 2012

Ecriture d'invention, d'après Le Drap - Astrid


Ma mère tartine délicatement le beure qu’elle achète chez le producteur, elle en dispose lentement une noisette, qu’elle étale soigneusement sur le pain frais que mon père a rapporté, elle ajoute ensuite la confiture de fraise. Je vais devoir en racheter, dit-elle. Elle dit à mon père que ma sœur va être en retard. Il monte, il dit qu’il ne la trouve pas. Enfait, elle est déjà partie.

Chez un ami, ma sœur prend une substance blanche. Je crois que c’est de la farine. Son ami, il dit, tu ne devrais pas en prendre autant, tu vas être malade. Elle dit qu’elle n’est jamais malade. Le matin elle est partie tôt, mes parents ne l’ont pas vue. Elle est partie chez une amie, pour réviser un devoir d’histoire. Quand elle revient, mes parents lui disent qu’elle ne devrait pas sortir si fréquemment. Elle répond qu’elle ne fait rien de mal, après tout elle ne fait que s’amuser. Cela fait une semaine qu’elle s’amuse.

Avant de se coucher elle déroule son chignon tressé, elle retire son élastique, elle dénoue nœud par nœud sa longue tresse, puis elle mouille une brosse en poils de sanglier, qu’elle passe délicatement sur sa chevelure, elle reproduit ce geste trois fois, puis elle enduit ses jolis cheveux aux reflets roux d’une crème à l’œuf et au rhum, elle dit que cette crème adoucit ses cheveux, qu’il faut l’appliquer depuis la racine jusqu’à la pointe, sinon la crème n’agit pas correctement. Elle passe ensuite un bandeau de couleur noire autour de son cou, puis le passe au-dessus de son front. Elle repasse une dernière fois la brosse en poils de sanglier sur ses cheveux. Elle dit qu’il ne faut pas utiliser les brosses en plastique car elles les abîment.

Il y a des pains au chocolat posés dans un panier en osie,r entourés d’un chiffon à carreaux blanc et rouge. Ma sœur traîne lentement dans le couloir, elle mange du bout des lèvres son pain au chocolat. Son regard est vide. Ses pupilles sont rétractées. Elle ne parle pas.

Elle commence à tresser ses cheveux, elle s’interrompt pour aller aux toilettes, enroule son chignon, retourne aux toilettes, peint ses lèvres de gloss, celui qu’elle met chaque matin, puis va aux toilettes une nouvelle fois. Ma mère lui demande si elle est malade, si tout va bien. Elle répond qu’elle va bien, elle n’est jamais malade. Elle met du parfum, prend son sac et s’en va. Elle rencontre une copine, lui dit bonjour et prend une cigarette.

Quand elle rentre, ma mère remarque son haleine marquée par l’abus de nicotine. Elle en parle à mon père, il dit que ce n’est pas possible. Ma mère insiste, elle trouve qu’elle a un comportement étrange. Ils montent dans sa chambre. Dans la pile de linge sale, mes parents trouvent un sachet, à l’intérieur se trouve la même substance blanche que chez son ami, ils trouvent également un peu plus loin une seringue. Ma mère a les yeux rouges. Mes parents ferment la porte. Ils demandent à ma sœur ce que c’est. Elle leur répond que ce n’est rien. Ils lui disent d’arrêter de les prendre pour des imbéciles, et de leur dire ce que c’est. Elle reprend violement le sachet et leur crie que c’est de la drogue. Il n’y a plus un bruit. Ma sœur ce soir-là n’a pas défait ces cheveux, ne les a pas enduits de crème et ne les a pas brossés.

Mes parents ont fait appellent à un psychologue. Il vient chaque mardi pour discuter avec ma sœur. Il fait le compte rendu à mes parents. Il dit que Ysoline va mieux, mais il faut du temps. Mon père demande combien il lui doit. Ma mère se ronge les ongles.

 *

Ma sœur a intégré un centre de désintoxication. Les rendez-vous avec le psychologue ne suffisaient plus. Elle prend quelque vêtements, sa brosse à cheveux, sa crème, des livres. Elle vérifie une dernière fois sa coiffure.  Elle fait une bise à mes parents, passe sa main au-dessus de ma tête et s’en va. Elle ne se retourne pas. Ma mère dit qu’elle va aller lui acheter un pyjama neuf en ville. Mon père dit qu’elle n’en a pas besoin, de toute façon elle n’en a pas pour longtemps.

Mes parents vont à Micropolis pour l’exposition de brocante comme chaque année. On ne m’emmène pas, il n’y a pas assez de place pour moi et les nouveaux meubles dans la Punto de mon père. Elle fait un bruit étrange lorsqu’elle démarre. Je vais devoir aller chez le garagiste dit mon père. Ma mère lui dit de ne pas aller chez le même de la dernière fois, il est beaucoup trop cher. Par la fenêtre, on voitun chien tout seul, il est en train de mourir.

Ma sœur est partie depuis 2 semaines. Mes parents lui rendent visite tous les soirs après avoir fermé la boutique. Moi, je ne l’ai pas revue.

*

Mes parents ont fermé la boutique plus tôt ce jour-là. Ma mère prend un sac, elle ne met rien dedans. Mon père dit à ma mère de se dépêcher. Elle dit qu’elle arrive. Une fois dans la voiture, personne ne dit rien. Arrivé devant le centre, mon père sort de la voiture, prend le sac et entre à l’intérieur. Ma mère me dit de sortir. Me voilà maintenant sur ses genoux. Elle me serre fort. Mon père revient accompagné de deux médecins qui portent le corps d’Ysoline. Le sac est désormais rempli de ses affaires.  Les médecins déposent délicatement son corps sur la banquette arrière. Son corps est recouvert d’une espèce de sac bleu. Pendant le trajet personne ne parle.

Le corps de ma sœur git sur son lit. Ma mère enlève le sac qui l’enveloppe, lui caresse tendrement la joue et me dit d’apporter les vêtements posés sur la chaise. Il y a une robe de taffetas bleu marine, entourée d’une ceinture de soie blanche. Les chaussures sont des ballerines de couleur bleu marine également. Le choix de la couleur a été pensé pour faire ressortir les cheveux roux de ma sœur. Ses cheveux sont comme fanés, ils semblent avoir été trempés dans un amas de poussière. Ses bras sont troués par les multiples prises de sang. Ma mère habille ma sœur. La robe lui va comme un gant. Les ballerines donnent l’impression d’une danseuse étoile. Une danseuse prête à s’envoler.
Dans la cuisine mon père fait les comptes, il calcule combien va lui coûter la cérémonie. Ma mère vient, pose sa main sur l’épaule de mon père et dit qu’elle est prête. Mon père se lève et appelle les pompes funèbres. Ma mère me donne de l’argent et me dit d’aller vite chercher les fleurs. Je monte sur le vélo de ma sœur, maintenant elle ne peut plus m’interdire de le prendre. Arrivée au magasin, je ne sais quelles fleurs choisir. Pour aller avec la ceinture en soie blanche je choisis des roses de la même couleur. Je vérifie qu’elles soient toutes parfaites, je paye, et je repars. Ma sœur est dans le cercueil. Seule la partie supérieure est ouverte. Les cheveux de ma sœur sont de nouveau flamboyants. Ma mère dit que les fleurs sont magnifiques. Elle les pose sur le corps de ma sœur. Elle sourit.                         

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