Ma mère tartine délicatement le
beure qu’elle achète chez le producteur, elle en dispose lentement une
noisette, qu’elle étale soigneusement sur le pain frais que mon père a
rapporté, elle ajoute ensuite la confiture de fraise. Je vais devoir en
racheter, dit-elle. Elle dit à mon père que ma sœur va être en retard. Il
monte, il dit qu’il ne la trouve pas. Enfait, elle est déjà partie.
Chez un ami, ma sœur prend une
substance blanche. Je crois que c’est de la farine. Son ami, il dit, tu ne devrais
pas en prendre autant, tu vas être malade. Elle dit qu’elle n’est jamais
malade. Le matin elle est partie tôt, mes parents ne l’ont pas vue. Elle est
partie chez une amie, pour réviser un devoir d’histoire. Quand elle revient,
mes parents lui disent qu’elle ne devrait pas sortir si fréquemment. Elle
répond qu’elle ne fait rien de mal, après tout elle ne fait que s’amuser. Cela
fait une semaine qu’elle s’amuse.
Avant de se coucher elle déroule
son chignon tressé, elle retire son élastique, elle dénoue nœud par nœud sa
longue tresse, puis elle mouille une brosse en poils de sanglier, qu’elle passe
délicatement sur sa chevelure, elle reproduit ce geste trois fois, puis elle
enduit ses jolis cheveux aux reflets roux d’une crème à l’œuf et au rhum, elle
dit que cette crème adoucit ses cheveux, qu’il faut l’appliquer depuis la
racine jusqu’à la pointe, sinon la crème n’agit pas correctement. Elle passe
ensuite un bandeau de couleur noire autour de son cou, puis le passe au-dessus
de son front. Elle repasse une dernière fois la brosse en poils de sanglier sur
ses cheveux. Elle dit qu’il ne faut pas utiliser les brosses en plastique car
elles les abîment.
Il y a des pains au chocolat posés
dans un panier en osie,r entourés d’un chiffon à carreaux blanc et rouge. Ma
sœur traîne lentement dans le couloir, elle mange du bout des lèvres son pain
au chocolat. Son regard est vide. Ses pupilles sont rétractées. Elle ne parle
pas.
Elle commence à tresser ses
cheveux, elle s’interrompt pour aller aux toilettes, enroule son chignon,
retourne aux toilettes, peint ses lèvres de gloss, celui qu’elle met chaque
matin, puis va aux toilettes une nouvelle fois. Ma mère lui demande si elle est
malade, si tout va bien. Elle répond qu’elle va bien, elle n’est jamais malade.
Elle met du parfum, prend son sac et s’en va. Elle rencontre une copine, lui
dit bonjour et prend une cigarette.
Quand elle rentre, ma mère remarque
son haleine marquée par l’abus de nicotine. Elle en parle à mon père, il dit
que ce n’est pas possible. Ma mère insiste, elle trouve qu’elle a un
comportement étrange. Ils montent dans sa chambre. Dans la pile de linge sale,
mes parents trouvent un sachet, à l’intérieur se trouve la même substance
blanche que chez son ami, ils trouvent également un peu plus loin une seringue.
Ma mère a les yeux rouges. Mes parents ferment la porte. Ils demandent à ma
sœur ce que c’est. Elle leur répond que ce n’est rien. Ils lui disent d’arrêter
de les prendre pour des imbéciles, et de leur dire ce que c’est. Elle reprend violement
le sachet et leur crie que c’est de la drogue. Il n’y a plus un bruit. Ma sœur
ce soir-là n’a pas défait ces cheveux, ne les a pas enduits de crème et ne les
a pas brossés.
Mes parents ont fait appellent à un
psychologue. Il vient chaque mardi pour discuter avec ma sœur. Il fait le
compte rendu à mes parents. Il dit que Ysoline va mieux, mais il faut du temps.
Mon père demande combien il lui doit. Ma mère se ronge les ongles.
*
Ma sœur a intégré un centre de
désintoxication. Les rendez-vous avec le psychologue ne suffisaient plus. Elle
prend quelque vêtements, sa brosse à cheveux, sa crème, des livres. Elle
vérifie une dernière fois sa coiffure.
Elle fait une bise à mes parents, passe sa main au-dessus de ma tête et
s’en va. Elle ne se retourne pas. Ma mère dit qu’elle va aller lui acheter un
pyjama neuf en ville. Mon père dit qu’elle n’en a pas besoin, de toute façon
elle n’en a pas pour longtemps.
Mes parents vont à Micropolis pour
l’exposition de brocante comme chaque année. On ne m’emmène pas, il n’y a pas
assez de place pour moi et les nouveaux meubles dans la Punto de mon père. Elle
fait un bruit étrange lorsqu’elle démarre. Je vais devoir aller chez le
garagiste dit mon père. Ma mère lui dit de ne pas aller chez le même de la
dernière fois, il est beaucoup trop cher. Par la fenêtre, on voitun chien tout
seul, il est en train de mourir.
Ma sœur est partie depuis 2
semaines. Mes parents lui rendent visite tous les soirs après avoir fermé la
boutique. Moi, je ne l’ai pas revue.
*
Mes parents ont fermé la boutique
plus tôt ce jour-là. Ma mère prend un sac, elle ne met rien dedans. Mon père
dit à ma mère de se dépêcher. Elle dit qu’elle arrive. Une fois dans la
voiture, personne ne dit rien. Arrivé devant le centre, mon père sort de la voiture,
prend le sac et entre à l’intérieur. Ma mère me dit de sortir. Me voilà
maintenant sur ses genoux. Elle me serre fort. Mon père revient accompagné de
deux médecins qui portent le corps d’Ysoline. Le sac est désormais rempli de
ses affaires. Les médecins déposent
délicatement son corps sur la banquette arrière. Son corps est recouvert d’une
espèce de sac bleu. Pendant le trajet personne ne parle.
Le corps de ma sœur git sur son
lit. Ma mère enlève le sac qui l’enveloppe, lui caresse tendrement la joue et
me dit d’apporter les vêtements posés sur la chaise. Il y a une robe de
taffetas bleu marine, entourée d’une ceinture de soie blanche. Les chaussures
sont des ballerines de couleur bleu marine également. Le choix de la couleur a
été pensé pour faire ressortir les cheveux roux de ma sœur. Ses cheveux sont
comme fanés, ils semblent avoir été trempés dans un amas de poussière. Ses bras
sont troués par les multiples prises de sang. Ma mère habille ma sœur. La robe
lui va comme un gant. Les ballerines donnent l’impression d’une danseuse
étoile. Une danseuse prête à s’envoler.
Dans la cuisine mon père fait les
comptes, il calcule combien va lui coûter la cérémonie. Ma mère vient, pose sa
main sur l’épaule de mon père et dit qu’elle est prête. Mon père se lève et
appelle les pompes funèbres. Ma mère me donne de l’argent et me dit d’aller
vite chercher les fleurs. Je monte sur le vélo de ma sœur, maintenant elle ne
peut plus m’interdire de le prendre. Arrivée au magasin, je ne sais quelles fleurs
choisir. Pour aller avec la ceinture en soie blanche je choisis des roses de la
même couleur. Je vérifie qu’elles soient toutes parfaites, je paye, et je
repars. Ma sœur est dans le cercueil. Seule la partie supérieure est ouverte.
Les cheveux de ma sœur sont de nouveau flamboyants. Ma mère dit que les fleurs
sont magnifiques. Elle les pose sur le corps de ma sœur. Elle sourit.